Pollution à l’école Michel Servet : pas de condamnation pour l’État, la métropole de Lyon ni la commune de Lyon

Décision de justice
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Par un jugement du 24 février 2023, le tribunal administratif rejette la requête présentée par l’association Greenpeace France et un collectif de parents d’élèves tendant d’une part, à l’indemnisation par la ville de Lyon, la métropole de Lyon et l’État, des préjudices qu’ils estiment avoir subis en raison de l’exposition de leurs enfants à la pollution impactant l’école primaire Michel Servet et d’autre part, à ce qu’il soit enjoint à ces autorités de prendre des mesures de nature à réduire l’impact de cette pollution.

Par courriers du 9 mars 2020 adressés au maire de Lyon, au président de la métropole de Lyon, au préfet du Rhône et au ministre de la transition écologique, les requérants, agissant au nom de leurs enfants mineurs scolarisés entre les années 2018 et 2020 au sein de l’école primaire située au débouché du tunnel de la Croix-Rousse dans le premier arrondissement de la commune de Lyon, et en leurs noms propres, ainsi que l’association Greenpeace France, ont sollicité l’édiction des mesures qu’ils estiment nécessaires à la réduction de la pollution de l’air au droit de l’école, et ont demandé l’indemnisation des préjudices résultant de l’exposition de leurs enfants à cette pollution. Les autorités publiques saisies ayant rejeté leur réclamation, ils ont demandé au tribunal, d’une part, de condamner l’État, la commune de Lyon et la métropole de Lyon à les indemniser de ces préjudices et d’autre part, d’enjoindre aux personnes compétentes de restreindre la circulation automobile au sein du tunnel de la Croix-Rousse

S’agissant tout d’abord des niveaux de pollution observés au sein de l’école Michel Servet, le tribunal, après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 221-1 du code de l’environnement fixant, au titre des normes de qualité de l’air, les valeurs limites de concentration de certains polluants, relève que les études et relevés effectués par l’agence Atmo Auvergne-Rhône-Alpes, ont révélé que les seuils annuels de pollution au dioxyde d’azote avaient été dépassés dans plusieurs cours extérieures de l’école. Il indique ensuite que ce dépassement du seuil annuel pour ce polluant ne persiste depuis 2019 que dans la cour nord de l’école située à proximité immédiate de la sortie du tunnel de la Croix-Rousse. En revanche, le tribunal précise ensuite qu’il n’apparaît pas que la pollution au dioxyde d’azote à l’intérieur des locaux aurait excédé les seuils fixés, et qu’il ne ressort pas non plus des relevés de l’Atmo Auvergne-Rhône-Alpes ou des éléments fournis par les requérants que les valeurs règlementaires fixées par le code de l’environnement aient été dépassées.

Concernant ensuite la responsabilité pour faute de l’État, le tribunal rappelle d’une part qu’en application de la directive européenne du 21 mai 2008 et des dispositions des articles L. 222-4 et L. 222­5 du code de l’environnement prises pour sa transposition, les personnes physiques ou morales directement concernées par le dépassement des valeurs limites fixées par le code de l’environnement doivent pouvoir obtenir des autorités nationales l’établissement d’un plan relatif à la qualité de l’air conforme lorsque n’est pas assuré le respect des valeurs limites applicables à chaque polluant atmosphérique.

Il indique à cet égard que par des décisions des 10 juillet 2020 et 4 août 2021, le conseil d’État a jugé que la pollution aux dioxyde d’azote avait excédé la valeur limite de concentration moyenne annuelle fixée règlementairement au cours des années 2018 et 2019 et estime que cette circonstance corrobore les taux observé au sein de la cour nord de l’école, située au carrefour de la sortie du tunnel de la Croix-Rousse et des quais du Rhône, zone particulièrement marquée, au sein de cette agglomération, par la pollution au dioxyde d’azote. Par ailleurs, il précise que par une décision du 12 juillet 2017, le Conseil d’État a également jugé que les mesures figurant dans le plan de protection de l’atmosphère approuvé par arrêté préfectoral le 26 février 2014 étaient manifestement insuffisantes à permettre que la période de dépassement des valeurs limites de pollution au dioxyde d’azote soit la plus courte possible, ce que confirment notamment les relevés réalisés pour l’année 2019 évoqués précédemment. Le tribunal qui relève enfin que le nouveau plan de protection de l’atmosphère, n’a été approuvé que le 24 novembre 2022 et ne couvre donc pas la période en cause dans le présent litige, estime en conséquence, qu’en s’abstenant d’élaborer un plan relatif à la qualité de l’air permettant que le dépassement des valeurs limites de pollution dans l’ensemble de l’agglomération lyonnaise, et plus spécifiquement sur le secteur de l’école Michel Servet, soit la plus courte possible, l’État a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Cependant, l’article L. 223-1 du code de l’environnement, prévoit qu’en cas d’épisode de pollution et lorsque les seuils règlementaires sont dépassés, le préfet informe immédiatement le public, puis, après information du maire, qu’il prenne des mesures propres à la limiter l’ampleur et les effets de la pointe de pollution sur la population. Alors que les requérants soutiennent que la responsabilité de l’État doit être engagée au motif que le préfet du Rhône n’a pas procédé à la fermeture du tunnel de la Croix-Rousse, le tribunal considère qu’ils ne discutent pas de l’efficacité des mesures prises par ce dernier, dans un contexte d’urgence, et n’établissent donc pas qu’il aurait manqué à ses obligations résultant de ces dispositions du code de l’environnement et aurait ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la métropole de Lyon, le tribunal indique en premier lieu que la régulation de la circulation au sein du tunnel de la Croix-Rousse, classé route à grande circulation, est partagée entre la métropole de Lyon et le préfet.  Il précise ensuite que, si la métropole de Lyon est compétente en matière de lutte contre la pollution de l’air, notamment à travers l’adoption du plan climat-air-énergie territorial et du plan de mobilité, elle ne saurait en revanche assumer les responsabilités propres à l’État résultant de la directive du 21 mai 2008 et des dispositions prises pour sa transposition, et les requérants ne peuvent ainsi pas utilement invoquer les condamnations prononcées à l’encontre de l’État pour soutenir que la métropole de Lyon aurait elle-même manqué à ses propres obligations, du seul fait du constat du dépassement des seuils de pollution fixés à l’article R. 221-1 du code de l’environnement.

 

En deuxième lieu, si les requérants soutiennent également que la mise en place de la zone à faible émission, décidée par la métropole de Lyon par une délibération du 28 janvier 2019, autant que les autres mesures ordonnées par la métropole visant à développer les modes de déplacement alternatifs à l’automobile, n’ont qu’un caractère progressif et n’ont pas permis d’abaisser suffisamment rapidement les taux de pollution, le tribunal considère qu’alors qu’aucune disposition légale ou règlementaire, ni aucun principe, n’a été méconnue, ils ne discutent pas du contenu du plan climat-air-territorial approuvé par la métropole de Lyon et ne démontrent ainsi pas que la métropole de Lyon aurait commis un manquement dans l’exercice de ses attributions propres.

En troisième lieu, sur la question de la pollution en provenance du tunnel de la Croix-Rousse, le tribunal relève que d’après une étude diligentée par l’agence Atmo Rhône-Alpes réalisée le 4 avril 2016, dont le contenu n’est pas sérieusement contesté par les requérants, la pollution au dioxyde d’azote particulièrement élevée observée au niveau de la sortie du tunnel de la Croix-Rousse côté Rhône, et plus particulièrement de la cour nord de l’école Michel Servet, est la résultante d’une pluralité de facteurs et que la circulation automobile n’en est responsable qu’à hauteur de 40%, les 60% restants étant imputables d’une part à la topographie particulière du site marquée par la présence de la colline de la Croix-Rousse et la circulation des vents, et d’autre part à la forte congestion du trafic sur les quais du Rhône. Il relève ensuite que contrairement à ce qui est soutenu, selon l’étude réalisée par les laboratoires scientifiques de l’association Greenpeace le 22 juin 2022, autant que des relevés de l’agence Atmo Rhône-Alpes, la corrélation entre la pollution observée au sein de l’école Michel Servet et le trafic automobile du tunnel de la Croix-Rousse n’est pas systématique, tandis que la fermeture du tunnel survenue pendant presque un an en 2012 en raison de travaux, si elle a contribué à une amélioration temporaire de la qualité de l’air, n’avait pas permis d’abaisser la pollution au dioxyde d’azote sous la valeur limite annuelle de 40 µg/ m.

 

A cet égard, les requérants font valoir les conclusions d’une analyse réalisée par un bureau d’études sur des mesures telles que la fermeture du tunnel de la Croix-Rousse à la circulation des véhicules particuliers ou la réduction des voies ouvertes à la circulation publique. Cependant, le tribunal indique qu’il ressort de cette étude que la mise en œuvre des scénarii, impliquerait un report de la circulation automobile sur d’autres axes, et notamment dans le tunnel de Fourvière et le périphérique Nord, qui apparait inenvisageable du fait de la saturation du tunnel de Fourvière et des impératifs de sécurité en matière de circulation dans les tunnels du périphérique Nord. En conséquence, le tribunal estime que la réduction de la pollution atmosphérique au niveau du tunnel de la croix-Rousse ne peut être envisagée de manière isolée, sans tenir compte des autres facteurs concourant au développement de la pollution et notamment le risque aggravé de congestion automobile sur d’autres axes routiers de l’agglomération.

Concernant les dispositions qu’elle a prises pour abaisser cette pollution sur son territoire, la métropole de Lyon fait en revanche état de la mise en place d’une grande nombre de mesures, notamment au travers du plan Oxygène approuvé en 2016, destinées à favoriser le développement des mobilités alternatives à la circulation automobile autant qu’à réduire la pollution atmosphérique, telles que l’abaissement de la vitesse maximale de circulations en centre-ville et sur de nombreux axes, notamment le périphérique, l’aménagement de nombreux kilomètres de pistes cyclables, la poursuite de l’investissement dans les transports en commun, ou encore le déclassement des autoroutes A6 et A7. Par ailleurs, il relève que des restrictions ont déjà été imposées à la circulation des véhicules les plus polluants par la mise en place de la zone à faible émission sur une partie du territoire métropolitain dès le 1er janvier 2020. Alors qu’il rappelle que conformément aux dispositions du code des transports la lutte contre la pollution de l’air doit, dans le cadre de l’organisation des mobilités urbaines, nécessairement s’articuler avec les autres impératifs dont la métropole de Lyon a la charge, le tribunal considère que les requérants ne remettent pas sérieusement en cause la pertinence des mesures prises et ne contestent pas non plus leur effet dans la réduction de la pollution atmosphérique tant à l’échelle de la métropole que de l’école Michel Servet. Pour ces motifs, il juge qu’en s’abstenant de prendre des mesures en vue de la réaffectation de la circulation dans le tunnel de la Croix-Rousse, la métropole de Lyon, pas plus que l’État au titre de sa compétence en matière de route à grande circulation, n’ont commis aucune faute de nature à engager leur responsabilité.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la commune de Lyon, le tribunal rappelle tout d’abord que la commune de Lyon, propriétaire des locaux de l’école Michel Servet assure un suivi de la pollution en son sein et a mené plusieurs actions destinées à supprimer l’exposition des élèves de l’établissement à certains polluants, notamment la fermeture de la cour nord en septembre 2013 puis des salles de classe de la façade nord en 2016, et un protocole de nettoyage conforme aux préconisation de l’agence Atmo visant à éviter la dispersion des particules fines.

En revanche, les requérants, qui ne discutent pas de l’effectivité de ces mesures, ne contestent pas que celles-ci ont permis de supprimer totalement l’exposition directe des enfants à la pollution au dioxyde d’azote dans des proportions excédant les valeurs règlementaires. Alors qu’aucune disposition du code de l’environnement ou du code général des collectivités territoriales ne donne compétence à la commune de Lyon pour lutter contre la pollution de l’air ou aménager la circulation dans le tunnel de la Croix-Rousse, le tribunal juge qu’en s’abstenant de prendre des mesures nécessaires à la réduction de la pollution atmosphérique au sein de l’école Michel Servet, cette collectivité n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.

S’agissant en dernier lieu de la réparation des préjudices invoqués, le tribunal rejette la demande des requérants parents d’élèves, au motif d’une part, que le préjudice qu’ils estiment que leurs enfants ont subi en raison des mesures prises par la commune de Lyon pour aménager les locaux et les cours extérieures de l’école sont sans lien direct avec la faute de l’État, et que d’autre part, ils font seulement état de considérations d’ordre général, ne se prévalent pas directement d’une atteinte à la santé de leurs enfants ni n’établissent qu’ils seraient empêchés de poursuivre une scolarité normale du fait de ces mesures.

En outre, le tribunal considère le préjudice moral résultant de la pollution de l’école Michel Servet invoqué par l’association Greenpeace comme non établi, et estime que la faute commise par l’État n’est en elle-même pas de nature à porter une atteinte à sa crédibilité ou sa réputation de nature à permettre son indemnisation. 

 

>Lire la décision n°2007414

 

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